Mardi 1er Février 2022 – L’orchestre de Wagner

Compte-rendu

Passionnante conférence sur ‟l’orchestre de Wagner”, le 2 février 2022, de Christian Merlin (en charge de l’émission Au cœur de l’orchestre sur France Musique et critique musical au Figaro), passionné lui-même par Wagner depuis ses jeunes années.

Une musique à redécouvrir pour beaucoup.

En préambule, c’est sur un extrait de la Chevauchée des Walkyries, que le conférencier souhaite alerter l’auditoire sur le caractère non représentatif de ces pages quelque peu tonitruantes de l’œuvre de Wagner. Selon lui, elles faussent la perception du public non averti. A l’inverse, par l’écoute du prélude de Lohengrin, le conférencier illustrera le Wagner ‟maître de la finesse orchestrale”, même quand un effectif très conséquent d’instruments est en jeu.

L’orchestre, au cœur du génie créatif de Wagner.

En premier lieu, faut-il rappeler que des notions telles que l’orchestration, l’instrumentation sont des notions plutôt tardives. A l’époque baroque, par exemple, l’orchestration n’est pas figée sur les manuscrits car dépendante des conditions d’exécution : la salle où l’on joue, les instruments dont on dispose, etc. Et puis, avec le temps, les compositeurs y sont de plus en plus sensibles, on s’interroge sur le choix de tel ou tel instrument pour obtenir tel effet. Mais pour Wagner, au-delà de la recherche d’effets, l’orchestre a une vocation beaucoup plus importante que celle d’accompagner les voix. Selon Christian Merlin, l’orchestre de Wagner incarne en quelque sorte le narrateur de la tragédie grecque qui, notamment au moyen des leitmotiv, commente l’action qui se déroule sur la scène.

Une évolution de l’orchestre au fil des créations de Wagner.

A l’heure de ses premiers opéras, Wagner hérite de l’orchestre de Beethoven. Certes, au fil du temps il peut doubler certains pupitres (dans le Ring on voit apparaître les bois par quatre et non plus par deux, les cors par huit et non plus par quatre). Il peut aussi s’affranchir de l’orchestre beethovénien par la recherche de couleurs non banales avec l’exemple du recours à de véritables enclumes (positionnées en coulisse) dans la scène du forgeage de l’anneau dans l’Or du Rhin ; cette musique de scène permettant d’élargir l’espace sonore. Par ailleurs, comme il avait des idées très précises en matière de sonorité, quand il considérait ne pas avoir les instruments correspondant à ce qu’il avait en tête, il n’hésitait pas à en faire fabriquer. C’est notamment le cas pour le ‟tuben” ou tuba wagnérien (joué par le corniste), intermédiaire entre le cor et le tuba. Il recourt aussi à des instruments non présents traditionnellement dans les orchestres symphoniques comme par exemple la trompette basse (que l’on trouve dans les formations de type fanfare). Wagner sait aussi créer des alliages sonores particuliers en associant, par exemple au début du prélude de Parsifal, quelques premiers et seconds violons, à des violoncelles avec sourdine et à 3 vents (clarinette, basson, et cor anglai). Les sons sont fondus, générant une ambiance hypnotique porteuse de spiritualité.

Avec la mélodie infinie, là réside le génie orchestral de Wagner.

Le génie orchestral de Wagner est de faire varier les couleurs sonores avec une très grande économie de moyens. Pour exemple, le prélude de Lohengrin avec un seul thème musical répété par différents pupitres dans un long et lent crescendo suivi par un long et lent decrescendo, ceci avec une absence totale de développement. En entrée, les 8 pupitres de violon joués dans l’aigu créent une harmonique donnant l’effet d’une lumière douce et surnaturelle. Ce thème va circuler d’un pupitre à l’autre sans varier. Ce flux ininterrompu est qualifié par Wagner lui-même de ‟mélodie infinie” puis, plus tard, ‟d’art de la transition”. Autre illustration, dans le prélude de l’Or du Rhin, la contrebasse tient une seule note (un mi bémol) pendant plus de 130 mesures alors que 8 cors vont jouer un thème ascendant (le leitmotiv du Rhin est entonné du 8ème au 1er cor, en canon en quelque sorte).

Bayreuth, un théâtre au service de l’orchestre de Wagner.

Le Festspielhaus de Bayreuth répond vraiment aux exigences de Wagner en matière de mélange des sons grâce à l’acoustique. A Bayreuth, la fosse est couverte d’un auvent qui permet au son de ne pas arriver frontalement et, ainsi atténué, de ne pas couvrir les voix. La configuration de la fosse permet aussi à Wagner de faire ses alliages de timbres. Elle est caractérisée par une forte déclivité avec, positionnés tout en bas, les gros cuivres et les percussions, les bois au milieu (se faisant ainsi facilement entendre), les cordes graves (contrebasses et violoncelles) séparées en deux groupes, puis vers l’avant les violons, mais inversés. C’est-à-dire les premiers violons à droite du chef avec les ouïes orientées vers le fond, et les seconds violons à gauche du chef, avec les ouïes orientées vers la salle, ceci en vue d’un rééquilibrage entre les premiers et les seconds. Christian Merlin souligne que seul Parsifal a été composé pour cette configuration et, par ailleurs, que cette salle du Festspielhaus n’est pas idéale pour les chœurs.

L’on comprend tout l’intérêt d’une conférence sur le thème de l’orchestre de Wagner surtout quand il est traité par un conférencier aussi talentueux que Christian Merlin qui a parfaitement bien su attirer notre attention sur ce qui fait le génie de Wagner, en particulier l’élasticité du temps musical par son maniement de l’orchestre et sa méthode de composition qui repose sur la plus grande continuité possible. Une telle alchimie n’est pas étrangère à ‟la bienfaisante fascination quasi-magnétique provoquée par la musique de Wagner”, qu’évoquait déjà en 1896 Alfred Lavignac (NDLR).

François de Sars

Le conférencier

Aucun

Christian Merlin, critique musical au Figaro et sur France Musique.