Mardi 8 novembre 2022 – Stravinsky et les ballets russes, conférence de Philippe Cathé

Auditorium Maurice Ravel

Le mardi 8 novembre à 18h30 –

Le thème ‟Stravinsky et les Ballets Russes” a été mis en valeur de façon intéressante et originale par Philippe Cathé, professeur de musicologie à Sorbonne Université et à New York University Paris, lors de sa conférence du 8 novembre 2022 à l’Auditorium de Lyon. Replaçant intelligemment l’œuvre de Serge de Diaghilev et d’Igor Stravinsky dans le contexte de l’évolution des sociétés occidentales et du monde de l’art, il nous montre pour commencer une vue de la première exposition universelle de 1851 à Londres, qui donne le coup d’envoi de l’ouverture à l’international.

Puis défilent des exemples de cette évolution, avec les papiers peints de John Russkin, l’église et les maisons de bois d’Abramtsevo, lieu de réunion d’artistes, et même les fresques de l’Hôtel Métropole à Moscou. Saint-Pétersbourg n’est pas en reste puisque le fameux groupe des 5 s’y forme entre 1857 et 1862, sous l’impulsion de compositeurs qui reprennent une idée chère à Glinka. Celui-ci souhaitait sortir la toute jeune musique russe des influences italienne et allemande et lui donner une inspiration nationale. A la même époque est créé le conservatoire national de musique, à Saint-Pétersbourg, que rejoindra comme professeur Nicolaï Rimski-Korsakov en 1871. Il aura comme élève Diaghilev et plus tard Stravinsky. Diaghilev aurait aimé être compositeur. L’influence de Marius Petipa, arrivé au Théâtre Mariinsky, va être importante pour le ballet. Il va former une grande troupe d’excellents danseurs et danseuses que saura utiliser Diaghilev dans les ballets russes en 1909. Les chorégraphes suivants auront comme nom Michael Fokine, Vaslav Nijinsky, Leonid Massine, Nijinska, Georges Balanchine.

Serge de Diaghilev, exceptionnel découvreur de talents, va s’entourer d’autres grands artistes pour les décors et les costumes tels Léon Bakst, Alexandre Benoit, Serge Golovine… A l’époque où l’on passe de l’Art Nouveau à l’Art Déco avec Horta, Gallé, Grüber, Matisse, Derain, Picasso et d’autres.  Diaghilev, qui a fondé en 1898 la revue ‟Le Monde de l’Art”, a comme objectif de faire connaître la culture russe à l’étranger. A Paris, il va commencer par une exposition de peinture, puis des concerts, avant de donner en 1909 la première séance de ballets. Les parisiens vont découvrir ces magnifiques danseurs que sont Nijinsky, Thamar Karsavina, Anna Pavlov …Ils vont, comme nous dit le conférencier, ‟prendre en pleine figure” la richesse et les couleurs des décors et des costumes dans Shéhérazade de Rimski-Korsakov.  Une belle photo de Fokine et Karsavina dans leur somptueux costumes et décors illustre ce propos.

La musique et les compositeurs vont tenir une grande place dans les ballets avec Tchaïkovski, Rimski-Korsakov… Puis c’est l’arrivée d’Igor Stravinsky avec son Oiseau de feu en 1910, Petrouchka en 1911, et Le Sacre du Printemps en 1913. Ces trois chefs d’œuvre vont faire de Stravinsky un des compositeurs majeurs des Ballets Russes et lui apporter une réputation mondiale qu’il gardera toute sa vie.
‟L’orchestre de Stravinsky” est doté de bases solides grâce à la science de l’orchestration de son mentor, Rimski-Korsakov, à laquelle il va apporter sa puissante créativité. Il va aussi oser de grandes libertés dans les développements rythmiques. Philippe Cathé nous en donnera une analyse fine dans les séquences rythmiques de la danse sacrale qui clôture Le Sacre du printemps et, moment ludique, il nous invitera même à compter les mesures dans l’ordre ou plutôt dans le désordre voulu par Stravinsky ! L’usage de la polytonalité (NDLR : superposition de mélodies dans des tonalités différentes) par le compositeur sera également bien illustré. En ce début du XXème siècle, Diaghilev commandera aussi des œuvres à de nombreux autres compositeurs comme Daphnis et Chloé de Maurice Ravel, Jeux de Claude Debussy, Parade d’Eric Satie. Après la première guerre mondiale, Stravinsky reviendra avec Pulcinella et ses décors de Picasso, puis Noces en 1923 qui sera en quelque sorte le ‟retour à l’ordre”. La disparition de Diaghilev en 1929 sonnera la fin des Ballets Russes et un grand vide pour Stravinsky, qui malgré ses relations tumultueuses avec Diaghilev avait une profonde admiration pour lui. Les Ballets Suédois prirent une certaine relève avec Fokine comme chorégraphe, avec Les mariés de la Tour Eifel (Cocteau), La création du monde de Darius Milhaud mais la magie des ballets russes s’est bien éteinte avec Diaghilev.

La conférence se termine par une vue de l’Ile San Michele à Venise et de son cimetière. On y voit très proches l’une de l’autre, les tombes de Diaghilev et de Stravinsky réunies comme l’avait souhaité Stravinsky.

Philippe Cathé, sur un sujet aussi riche, a conquis l’auditoire présent, en arrimant cette période 1909-1929 des Ballets Russes au large mouvement culturel qui l’anticipait, et en lui donnant une dimension couvrant bien toutes les disciplines de l’art, disciplines rarement aussi bien réunies que dans cette période flamboyante.

Claude Venin

Le conférencier

Philippe Cathé
Philippe Cathé est professeur de musicologie à Sorbonne Université et à la New York University Paris. C’est à la fois un théoricien s’intéressant aux musiques harmoniques de la fin de la Renaissance à nos jours et un musicologue spécialiste de l’un des âges d’or de la musique française, de la fin du XIXe siècle à la première moitié du XXe. Il consacre également une partie de ses recherches à l’analyse du son au cinéma. Il aime partager sa passion de la musique avec un large public et poursuit des partenariats de longue date avec l’Orchestre National de Lyon, France Musique, l’Ensemble Claudio Monteverdi et l’auditorium de Radio France.