Compte-rendu
Ce mardi 5 avril, monsieur André Lischke, musicologue spécialiste référent de l’Histoire de la Musique Russe* nous a offert un magnifique et original voyage à travers la Russie sur les traces de Rimski-Korsakov, compositeur reconnu comme l’un des plus éminents orchestrateurs du 19e siècle.
Rimski-Korsakov naît le 5 mars 1844 dans les environs de Saint Pétersbourg, capitale impériale alors imprégnée d’occidentalisme mais dans laquelle souffle un vent de slavophilie. Les deux entités ne tarderont pas à fusionner. Une Société Musicale Russe est créée en 1855. A la demande de Balakirev, Rimski-Korsakov rejoint le « Groupe des Cinq », cénacle de musiciens qui défendent les principes inspirés des traditions populaires. Ils prônent une musique spécifiquement russe, des valeurs qui s’imposeront sur la scène musicale dès 1860. En 1862, le premier conservatoire de Russie ouvre ses portes à Saint Pétersbourg. En 1871 Rimski-Korsakov y occupera le poste de professeur d’harmonie et d’orchestration, après s’être initié au contrepoint auprès de Tchaïkovski directeur du conservatoire.
Si très jeune Rimski-Korsakov révèle des dons exceptionnels pour la musique, aux yeux de son père, être musicien n’est pas une fonction acceptable pour quelqu’un de son rang aussi poursuit-il des études de mathématiques et de navigation. Devenu officier il s’engage dans la marine impériale. Il est musicien autodidacte et le thème de la mer illustrera toute son œuvre. Il semblerait même qu’il se soit identifié à Sadko héros navigateur d’une légende slave du XII ème siècle. Pour preuve son poème symphonique Sadko composé au cours de son premier embarquement, et ce même Sadko sujet-titre d’un de ses derniers opéras. Notre conférencier nous en propose un extrait : impression étrange de nous enfoncer lentement dans les profondeurs de la mer, c’est une descente inquiétante, une suite de ton et de demi-ton, une harmonie artificielle associée à l’imaginaire du compositeur. En fait, Rimski-Korsakov compose en coloriste et manie les timbres de ses instruments aussi finement qu’un peintre manierait son pinceau.
Son attirance pour l’orientalisme le conduit, en 1868 à écrire une seconde symphonie, Antar, suite de 4 mouvements qui illustre successivement les délices de la vengeance, ceux du pouvoir, de la séduction ou de l’amour, une musique tour à tour lyrique, sensuelle, tourbillonnante voire guerrière. L’exemple proposé extrait du troisième mouvement annonce déjà Shéhérazade (1888). Si le cinéma alors avait existé, ces partitions auraient pu faire d’excellentes musiques de films !
Grand amoureux de la Nature, notre homme se veut agnostique pratiquant une forme de panthéisme. Il recherche des thèmes au Panthéon des vieilles histoires russes. Il écrira un recueil de chants populaires dans lequel Edouard Lalo puisera pour composer, juste retour des choses quand l’occident s’inspire à son tour de musique russe !
Rimski-Korsakov n’écrira que 3 symphonies mais 15 opéras !
On reste étonné de la variété de ces compositions : marche, défilé ou danse, il se comporte toujours et avant tout en symphoniste. Il excelle à mettre en scène les contes russes, pour preuve cette troisième écoute : la danse des bouffons extraite de l’opéra « La fille de neige ». Son Capriccio Espagnol véritable succès, qui sera joué à l’exposition universelle de 1889 de Paris : 7 mouvements sur des thèmes espagnols dont la danse gitane qui nous est proposée en quatrième écoute.
Avant cette fin du XIXème siècle, trois grandes œuvres illustreront encore la variété et la richesse de la musique de ce curieux et très sympathique musicien. Nous en écouterons trois extraits :
-Shéhérazade, suite symphonique avec leitmotiv au violon solo et où les thèmes du Sultan, de Shéhérazade, ou du marin Sinbad se transforment au gré du rythme ou de l’instrumentation.
–La Grande Pâque Russe dans laquelle les thèmes mélodiques ne sont pas développés mais paraphrasés : de véritables habillages musicaux toujours témoins des qualités d’orchestration du musicien.
– Enfin un opéra peu connu chez nous : la légende de la ville de Kitège avec Fevrogna, la fille de la nature. C’est un véritable hymne à la nature où sont évoqués la profondeur de la forêt, les oiseaux ou le bruissement des arbres.
A travers l’ensemble de ces exemples, le public nombreux ce jour à l’auditorium, a compris et perçu toute la diversité et la richesse de la musique russe transmise par le filtre de Rimski-Korsakov . Compositeur que l’on peut retrouver dans son autobiographie écrite avec beaucoup de modestie et véritable laboratoire de ses œuvres : « Chronique de ma vie musicale », livre précisément traduit et annoté par monsieur André Lischke .
Le conférencier

André Lischke, musicologue, spécialiste de la musique russe