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Le mardi 7 novembre 2023 –
Mardi 7 novembre : Édouard Lalo (1823–1892) ou Les séductions de l’exotisme et du pittoresque, par Patrick Favre-Tissot, musicologue, historien de la musique
La commémoration du bicentenaire de la naissance (Lille, 27 janvier 1823) d’Édouard Lalo fut au long de l’année écoulée d’une très remarquable discrétion, nouvelle manifestation du dédain, régulièrement affiché, de nombre des professionnels du milieu musical français envers certains des compositeurs nationaux, fussent-ils de grands créateurs, voire, d’insignes génies. Collaborant pour l’occasion avec la SOCIETE PHILHARMONIQUE DE LYON et l’association Almaviva, le Mozarteum de France avait choisi, quant à lui, d’inviter le mardi 7 novembre l’historien de la musique Patrick Favre-Tissot-Bonvoisin à donner une conférence en l’honneur du compositeur de la Symphonie espagnole, conférence intitulée par l’orateur « Édouard Lalo (1823–1892) ou Les séductions de l’exotisme et du pittoresque ».
C’est au XVIe siècle que la famille Lalos, d’origine ibérique, s’établit en Flandres, avant de s’installer à Arras, ayant acquis la nationalité française pendant la Régence de Philippe d’Orléans. Le père du compositeur, en cela s’inscrivant dans le fil d’une tradition familiale, avait embrassé la carrière militaire, à laquelle il destinait comme naturellement son fils Édouard. La musique constitua pourtant une part notable de l’éducation reçue par le jeune garçon qui, après l’obtention en 1839 d’un 1er prix de violon du Conservatoire de Lille, fut conduit à prendre ses distances avec sa famille lorsqu’à lui s’imposa la vocation musicale. Auditeur libre au Conservatoire de Paris, le jeune Édouard compléta sa formation (violon, composition…) en suivant les enseignements de Baillot, Habeneck, Schulhoff, Crèvecoeur…
Bien que toujours objet du soutien familial, il vécut alors grâce à ce que purent lui rapporter ses activités d’enseignement ou de musicien d’orchestre, jusqu’à devenir violoniste permanent au sein de l’orchestre de l’Opéra-Comique. Cette période d’épanouissement, évoquée avec soin par le conférencier, fut l’occasion pour Lalo de quelques stimulantes rencontres artistiques (Delacroix, Berlioz…), et les premières œuvres musicales ne tardèrent plus à naître de la plume de celui qui, en dépit de sa pratique de violoniste ou d’altiste (membre du quatuor Armingaud, à partir de 1855), considérait la composition comme sa véritable vocation. De cette première période créative, Patrick Favre-Tissot-Bonvoisin, agrémentant son propos de projections riches et variées (portraits, œuvres picturales, documents…) donnait de significatifs exemples sonores (fragments du 1er trio pour piano, violon et violoncelle, du quatuor à cordes – beaucoup plus tard révisé et répertorié comme op. 45). Une parenthèse de presque dix années sans création notoire (période riche au plan personnel, cependant : mariage avec la cantatrice Julie de Maligny, naissance de Pierre – futur critique musical éminent) prit fin avec la composition, dans le cadre d’un concours d’État, de l’opéra en trois actes Fiesque (créé en concert en… 2006 et à la scène l’année suivante), dont maintes pages furent réutilisées plus tard dans d’autres œuvres. Ce n’est qu’après avoir rejoint, en 1871 au sein de la Société Nationale de Musique, César Franck, Jules Massenet, Gabriel Fauré et quelques autres éminents collègues, que Lalo put jouir, de façon soudaine, d’une notoriété à la mesure de ses talents. Virent alors le jour, notamment, le concerto pour violon en fa majeur, op. 20, et la Symphonie espagnole, deux œuvres créées respectivement en 1874 et 1875 par Pablo de Sarasate, dont la collaboration avec le compositeur, lequel découvrait avec grand intérêt les musiques populaires ibériques, se révéla ainsi particulièrement féconde, cela même un peu en amont de la création de Carmen de Bizet, et environ huit années avant l’España de Chabrier. Suivit encore, en 1877, le concerto pour violoncelle en ré, dont le mouvement central à caractère méditatif, choisi pour exemple par le conférencier, fait place à deux intermèdes plus enjoués, d’inspiration populaire, là encore possiblement ibérique.
De façon moins attendue, Lalo s’intéressa aussi – toujours à l’intention de Sarasate – au folklore nordique, avec sa Fantaisie norvégienne, qui devint Rhapsodie norvégienne en 1879, et suscita l’admiration de Grieg. Dans le Presto, que donnait à entendre le conférencier, outre la présence d’un thème populaire, se manifestent de façon éclatante tant l’art de l’orchestration du compositeur que sa maîtrise d’une écriture serrée, propre à un chambriste par ailleurs confirmé.
Après son troisième trio pour violon, violoncelle et piano, dont Patrick Favre-Tissot-Bonvoisin fit entendre le deuxième mouvement, Lalo devait poursuivre dans la veine concertante nourrie de folklore, avec son Concerto russe pour violon lequel, créé sous la direction de Pasdeloup, reçut un accueil mitigé. Le compositeur se consacra alors à une nouvelle tentative dans le genre de l’opéra, passage alors obligé sur la route de la gloire. Mais Le roi d’Ys fut, dans un premier temps, refusé par la direction de l’Opéra… et le ballet Namouna (dont Charles Gounod acheva l’orchestration en raison de la santé alors défaillante de Lalo) reçut, contrastant avec les éloges appuyés des connaisseurs (dont Claude Debussy), un accueil public désastreux : il ne faisait pas bon faire entendre une musique à ce point originale, surtout si une réputation de « symphoniste », a priori rédhibitoire, était attachée à votre nom… Tout en continuant à travailler à son opéra, soutenu par ses amis (Dumas le fils, Edgar Degas…), Lalo donna en 1887 sa Symphonie en sol mineur (créée par Charles Lamoureux), dans la musique de laquelle, au-delà de ses emprunts à l’opéra Fiesque, peut être reconnue la technique de composition cyclique, qu’un peu plus tard consacrera César Franck. Le roi d’Ys, finalement créé le 7 mai 1888, fut un triomphe tant critique que public, inaugurant une brillante carrière. Dans l’œuvre encore, notamment au troisième acte, des citations de thèmes populaires…
Si La Jacquerie, nouvel opéra alors projeté, resta inachevé, Lalo put encore mener à bien une ultime composition : le Concerto pour piano et orchestre en fa mineur, qui fut créé en 1889 aux Concerts Colonne, mais dut sans doute à son écriture pianistique, exigeante mais jugée trop peu flatteuse par nombre d’interprètes (absence de cadence solo, par exemple…), de ne jamais être vraiment intégrée au répertoire familier des concertistes.
L’éloge funèbre de Lalo, lors de son inhumation au cimetière parisien du Père Lachaise, fut prononcé par Jules Massenet. Au terme de sa conférence-hommage, Patrick Favre-Tissot-Bonfantin soulignait quant à lui que s’il ne mena pas lui-même une existence de voyageur, Lalo eut l’art de faire voyager les auditeurs de sa musique. Le conférencier refermait son propos en redisant quelle place éminente devrait être celle de Lalo au panthéon des compositeurs français, et l’importance qui fut celle de son œuvre pour nombre de ses contemporains ou successeurs, notamment dans le domaine de la musique de chambre. Dans sa ville natale de Lille, un monument perpétue la mémoire de l’artiste sur lequel il est encore possible de lire : « De sa lointaine origine espagnole le compositeur Édouard Lalo avait hérité du sens des rythmes et des couleurs. Le sol nordique où il prit racine lui fit don d’une sensibilité profonde et d’un génie incomparable. »
Pierre Saby
Le conférencier
FTB © Labo Photo Gris Souris DR
Né à Lyon, en 1962, Patrick FAVRE-TISSOT-BONVOISIN, musicologue, conférencier, historien de la musique, exerce sa profession depuis 1986 sur l’ensemble du territoire européen francophone. Il se consacre plus particulièrement à la musique européenne des XVIIIe et XIXe siècles. Son répertoire comprend plus de 250 conférences. Il assure, actuellement et en moyenne, 150 conférences par an. À l’automne 2016 il fête ses 30 ans de carrière et prononce sa 5.000ème conférence en septembre 2019.
De 2009 à 2022, on lui confie la chronique mensuelle des critiques musicales sur le site Internet d’informations culturelles lyon-newsletter.com. En Janvier 2015, le Ministère de l’Éducation nationale, de l’Enseignement supérieur & de la Recherche le nomme Chevalier dans l’Ordre des Palmes Académiques « pour son action en faveur de la diffusion du savoir relatif à l’Histoire de la Musique en Francophonie ». En 2011, les Éditions Bleu Nuit le sollicitent afin d’écrire des biographies de compositeurs. Consacré à Giuseppe Verdi, son 1er ouvrage date de Janvier 2013. Le 2ème, sur Ludwig van Beethoven, est publié en Mai 2016. Le 3ème, dédié à Hector Berlioz, paraît en janvier 2019. En décembre 2020, il participe sur France 3 à l’émission télévisuelle de Stéphane Bern Secrets d’Histoire, consacrée à Beethoven.